Le Palais de l'Oligarque

Le soleil entrait à flots dans la grande pièce ronde. Des rideaux de velours se balançaient doucement dans le léger courant d’air. Au centre de la pièce, une mosaïque de verre coloré représentait un ensemble de cercles entrecroisés composés de signes bizarres, comme une sorte d’alphabet incompréhensible d’une langue inconnue. Les murs de la pièce circulaire d’environs douze mètres de diamètre étaient percés de six grandes fenêtres en arcade, chacune encadrée par deux colonnes torsadées et couvertes de dorures qui flamboyaient sous les rayons du soleil et faisaient miroiter le sol de marbre rose poli. Debout devant l'une de ces baies, Joran observait la ville à ses pieds. A sa droite, des mouettes tournoyaient en criant au dessus du marché en contrebas. Plus loin devant lui, il pouvait apercevoir les eaux turquoise du grand port de cette singulière cité. Les murs blanc cassé des bâtiments brillaient sous l’éclatante lumière de cette chaude journée d’été. Les toits de tuiles rouges alternaient avec les dômes dorés et les flèches élancées. A sa gauche se profilait une partie de l’Université, partiellement cachée par les bosquets d’arbres procurant une ombre bienveillante aux élèves préférant étudier à l’extérieur. Il vit un jeune adolescent d’à peine quatorze ans s’exercer sur une cible de pierre. Celui-ci, habillé d’une sorte de toge blanche identique à celle dont on l’avait revêtu à son arrivée, prononça quelques paroles inintelligibles à cette distance puis, tendant une main devant lui, laissa fuser un éclair bleu d’une grande intensité, pulvérisant d'un coup le petit monolithe. Joran eu la surprise de voir l’étudiant tituber avant d' aller s’effondrer doucement contre un arbre. Un léger sourire semblait flotter sur ses lèvres.

Il avait vu un certain nombre de choses étranges depuis quelques jours, et il était de moins en moins surpris par ce qu’il voyait. Les gens de cet endroit étaient capables de faire des choses incroyables comme allumer une bougie, ou même une cheminée sans allumettes ni briquet. Il avait vu un enfant voler avec les mouettes, sans ailes, et un homme recouvrir sa main de métal et s’en servir comme d'un marteau. Il venait souvent ici, dans cette rotonde tout en haut du palais de l’Oligarque. On lui avait dit que cet homme était son père. Cependant, même s’il lui ressemblait, il avait encore du mal à le croire. « Et puis pourquoi m’appellent-ils tous Joran ? Je m’appelle Éric, je le sais quand même!» pensait-il souvent. Sa mère lui manquait terriblement aussi, et il se renfermait de plus en plus sur lui-même. « Pourquoi m’ont-ils amenés ici ? se demandait-il, qu’est-ce qu’ils veulent de moi ? Et puis c’est quoi cet endroit d’abord ? »A l'approche de midi, la chaleur grandissait. Il avait un peu soif, et son estomac grondait de plus en plus, signe que la faim le tenaillait de nouveau. Il faut dire qu'il avait très peu mangé depuis le début de son séjour ! Son arrivée déstabilisante lui avait fait perdre l’appétit. Mais aujourd'hui, même si son moral n’était pas au mieux, il se rendait compte qu'il s’habituait petit à petit. Il se dirigea donc vers l’escalier menant aux étages inférieurs pour se rendre aux cuisines. La tour dans laquelle il était réfugié se dressait au dessus du palais attenant à l’université. Elle était constituée de six niveaux dont trois dépassaient le toit du corps principal du bâtiment central. Les cuisines étaient situées dans une dépendance à l’arrière de l’ensemble, au rez-de-chaussée. Le vent en provenance de la baie poussait les fumées vers l’ouest, à l’intérieur des terres, ne gênant ainsi personne. Joran parcourut les salles de la tour jusqu’en bas, et sortit par la cour principale afin de contourner le logis. Il ne voulait pas risquer de rencontrer cet homme qui se disait son père mais qui jusqu’à présent n’avait pas semblé s’intéresser vraiment à lui. En arrivant aux cuisines il était essoufflé, et sa soif était devenue insupportable. Il se saisi d’une coupe de cristal posée sur une étagère contre le mur et chercha une cruche du regard. Le personnel était très affairé à préparer le repas du midi pour les habitants du palais, et il ne voulait pas les déranger. Ne trouvant pas d’eau à se servir, il hésita à interpeller une servante. Il lui sembla soudain que la coupe s'alourdissait dans sa main. D'abord légèrement puis de plus en plus. La tendant devant ses yeux, il la regarda. Quelle ne fût pas sa surprise alors de la voir se remplir d’eau fraîche, par le fond, comme si l’eau se générait toute seule ! Pourtant personne ne semblait lui porter attention, il ne comprenait pas ce qui était en train de se passer. C’est alors que le chef de cuisine l’aperçut.

  • Eh bien petit Maître, on dirait que vous avez appris à faire de l’eau ? C’est bien ! Mariwenn, emmenez le jeune Joran au salon, le Grand Oligarque voudra voir cela !

  • Bien sûr, répondit la servante, je l’y emmène tout de suite !

  • Non ! voulu protester Joran

Mais déjà la jeune femme le prenait par la main et l’incitait à la suivre à travers le palais. Il aurait voulu se débattre cependant comme il avait toujours soif, il s'empressa de boire son eau toute fraîche. Bien que cela lui fît le plus grand bien, il ne se sentait pas désaltéré pour autant. Il lui en fallait encore. Mariwenn ne lui laissa pas le temps d’en réclamer d’avantage, ni même d’en générer de nouveau. Elle l’entraîna à travers les couloirs et corridors de l’immense bâtisse en direction du salon du maître des lieux. Lorsqu'ils furent enfin parvenus devant la porte du salon où celui-ci attendait, la servante serra plus fort la main du jeune garçon afin de l’empêcher de s’enfuir. Or, tenant toujours sa coupe de cristal désormais vide dans sa main libre, sa soif exacerbée par le stress intense qui s'emparait de lui, Joran ne pensait même plus à fuir. Il ne savait pas vraiment ce qu’on attendait de lui, et il en ressentait une grande inquiétude. Enfin la servante frappa à la porte pour s’annoncer. Celle-ci s’ouvrit lentement, sans le moindre bruit, laissant apparaître un petit salon cossu, confortable et bien décoré, certes mais dans un style relativement simple comparé au reste du palais : les appartements privés du Maître, le Grand Oligarque Araméor, l’Archimage Eternel, chef de l’Assemblée des Mages… son père. Rassuré par l’apparente simplicité de l’homme qui le dominait, Joran osa lever les yeux. Il y découvrit un visage au sourire bienveillant, entouré de petites fossettes. Ses yeux rieurs cernés de légères ridules à peine dessinées étaient d’un vert profond, intense. Ses longs cheveux argentés cascadaient sur ses épaules couvertes d’une toge bleue brodée d’argent avec des motifs complexes semblables aux dessins de la rotonde. Sous sa toge, on devinait une tunique d’un blanc éclatant sans ornement visible. Sur sa poitrine, accroché à une chaîne d’argent particulièrement élaborée pendait un médaillon étrange présentant en son centre un motif en forme de triangle aux pointes serties de pierres précieuses : un Saphir au sommet, une émeraude à l'angle inférieur gauche et un rubis à celui de droite. Au centre du triangle, une pierre d'un noir de jais semblait absorber la lumière au lieu de la refléter. Le pourtour du médaillon montrait un texte gravé dans cette langue mystérieuse dont il voyait l’alphabet partout sans pouvoir le décrypter. « Bienvenue mon fils », commença l’homme tandis que la servante se retirait discrètement pour rejoindre les cuisines et y reprendre ses tâches quotidiennes.

Chapitre 1 - Part 2

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