Chapitre 4

Arcanem es Alegorem

La foule avait mit un certain temps à remplir les gradins montés pour l'occasion sur la Place des Arcanes. La tribune de l'Oligarque était décorée de draperies aux couleurs de sa Maison : bleu-roi et bleu-ciel. Araméor se tourna vers son fils et s'agenouilla pour se mettre à sa hauteur.

  • Ce qui va se passer maintenant est un événement important dans la vie politique d'Arcana. Ce soir, deux grands mages vont s'affronter pour la place de Premier Conseiller. C'est un peu l'équivalent du premier ministre dans ton monde d'origine. Il y a longtemps, les hommes s'affrontaient de cette manière pour savoir qui était le plus fort et le plus méritant. Ce n'est pas un spectacle pour un enfant, mais je voudrais que tu voies ce que la magie peut accomplir.

Se tournant vers la jeune servante, il lui demanda :

  • Rassurez-le, il en aura peut-être besoin. Je me dois de rester ferme et inflexible ce soir devant les aristocrates et le peuple. Joran est certes un peu trop jeune pour assister à ce genre d’événement, mais il doit apprendre, il est appelé à régner un jour.

  • Bien Seigneur, répondit la jeune femme, tremblant d'appréhension.

A l’heure pile du crépuscule, au moment où le soleil disparut derrière l’horizon, un mage d’allure extravagante se présenta dans l’arène. Il avait l’air assez âgé et bedonnant. Il était habillé de rouge et de noir, et portait une cape en drapé de soie orangée. Il semblait attendre son adversaire sans la moindre trace de peur sur le visage, confiant. Bientôt, un deuxième mage en bleu et blanc se présenta. Il semblait plus jeune, plus svelte, et très sûr de lui. Le nouveau venu salua la foule et les deux hommes s’inclinèrent devant l’Oligarque. Tous deux portaient une dague ouvragée dans un fourreau ainsi qu’un bâton sensé représenter leur fonction de Seigneur de l’Ordre. L’homme en bleu et blanc était un familier du palais, c’était le Premier conseiller en titre : Argor Otton. Son flamboyant et bedonnant adversaire s’appelait Fervorn Kevona, Seigneur de l’Ordre Aurora Ignis. Celui-ci regarda sombrement l’enfant avant de se tourner vers Argor. Alors le silence se fit dense sur la place. Les spectateurs semblaient retenir leur souffle.

  • Je choisi le duel à mort ! Clama Argor, des éclairs dans les yeux.

  • Et je l’accepte ! Répondit son adversaire.

  • Qu’il en soit ainsi… souffla Araméor avant de s’asseoir.

Il regarda son fils et le vit frémir de crainte. Marywenn serra la main de l’enfant un peu plus fort, tentant de le rassurer de son mieux. Les deux hommes se firent face et le duel commença. Argor se mit à lancer des éclairs sur Fervorn, mais ceux-ci semblaient disparaître avant d’atteindre leur cible. Celui-ci ne semblait d’ailleurs pas s’en préoccuper outre mesure. Tout à coup, il releva la tête vers le ciel et se mit à cracher un énorme ruban de flammes chatoyantes. Le spectacle était plaisant à voir, malgré la rage d’Argor qui se mit à courir en balançant éclair sur éclair vers un Fervorn hilare. La foule bientôt se mit à rire avec lui, se moquant du Premier Conseiller. Même Joran souriait, tant la situation l’amusait. C’est alors que tout s’arrêta d’un seul coup. Fervorn, moqueur lança à son adversaire essoufflé :

  • Tu as terminé ton footing Argor ? On peut commencer ?

Au bout de quelques secondes, Argor qui reprenait son souffle commença à incanter..

  • Arcanem es Alegorem, Oveam me Anorem ; Voltaen Azull az Rel al T…

  • NaenZohr, l’interrompit Fervorn.

Une bulle sombre enveloppa alors le pauvre Argor, l’empêchant de terminer son incantation et l’emprisonnant.

  • Qu’est-ce qu’il s’est passé père ? Demanda Joran.

  • Argor s’est laissé emporter par sa rage et a commencé à appeler la haute magie pour lancer un éclair que le bouclier invisible de Fervorn ne pourrait pas arrêter. Alors Fervorn a invoqué… une sorte de bulle de néant pour l’emprisonner. C’est très fort ce qu’il a fait là.

Araméor semblait réellement surprit par la performance et ne le cachait pas. Rares étaient ceux qui parvenaient à un tel degré de maîtrise du Néant Arcanique. Cet élément servait généralement uniquement à l’invocation de portails, on ne l’utilisait que très rarement pour autre chose… La Prison de Néant était basée sur le même principe, à cette différence toutefois qu’aucune destination n’était prévue : Si le prisonnier touche la paroi de sa prison, il se retrouve dispersé aux quatre vents, absorbé par le néant… Ainsi, Fervorn gagne le duel à mort, sans tuer personne. C’était un sort assez commun pour toute personne capable de le maîtriser, cependant la performance de Fervorn dépassait de très loin la magie classique : c’était un sort préparé à l’avance qu’il avait réussi à maintenir alors qu’il entretenait son bouclier d’énergie et crachait des flammes pour amuser la foule. Son titre d’Archimage n’était pas usurpé, et il venait de le prouver à toute la population d’Arcanium…

Araméor s’agenouilla devant son fils et le regarda dans les yeux.

  • Qu’as-tu appris aujourd’hui Joran ?

  • Que la magie peut faire le mal autant que le bien, et que ce n’est pas parce qu’on est le plus fort qu’on doit forcément écraser les autres.

  • C’est bien mon fils, mais il y a autre chose qu’il faut que tu retiennes : Dante, la planète de feu autour de laquelle gravite notre monde, est mauvaise, maléfique, peuplée de créatures qui nous veulent du mal. Notre histoire est remplie de guerres contre les habitants de Morphéa et Artificus, mais ces temps sont désormais terminés. Aujourd’hui nous combattons ensemble Dante et ses serviteurs. C’est pour ça que tu es là : toi et tes amis Awen et Eryn, vous partagez une origine commune. Vous devez vous unir contre Dante et nous montrer l’exemple de l’entente et de l’amitié entre les peuples.

  • Oui père, je le sais. Je veux apprendre à être un grand mage comme Fervorn !

  • Ha Ha Ha ! Oh oui, tu seras un grand mage mon fils, je te le promets ! Dit Araméor en riant.

* * *

La cérémonie d’intronisation d’un nouveau Premier Conseiller étant particulièrement longue et ennuyeuse pour un enfant de sept ans, Joran en fut donc dispensé. A la place, il préféra continuer son exploration du palais. Quelques jours auparavant, il avait découvert une curieuse porte, décorée de runes étranges qui semblaient pulser une lumière douce, bleutée, qui rappelait celle qui l’avait amené sur ce monde. Ce jour là, il n’avait pas eu le temps de voir ce qu’elle cachait, mais il savait disposer d’au moins quatre ou cinq heures avant de retrouver son père. Mariwenn, comme toujours, l’accompagnait. Cette porte lui faisait un peu peur, mais la curiosité de Joran, sa joie de vivre, son envie de découvertes ne laissait pas indifférent. Aussi, elle l’accompagna sans trop se faire prier. Ils parcoururent donc les couloirs et les salles du palais jusqu’à atteindre une porte dérobée menant dans les caves. Là, Mariwenn eut un frisson de crainte que Joran, tout à son excitation ne remarqua même pas. Dans cet endroit isolé, presque personne ne venait jamais, alors Joran poussa la porte et ils descendirent dans le sombre escalier à peine éclairé. Bientôt, ils atteignirent l’étrange porte qui intriguait tant l’enfant.

  • On dirait qu’elle m’appelle, dit Joran.

  • C’est impossible, répondit Mariwenn, ce n’est qu’une porte ! Et je ne vois pas ce qu’elle a d’étrange.

  • Mais si regarde ! Là, tous ces signes bizarres, et cette lumière bleue qu’elle dégage !

  • De quels signes parles-tu ? Demanda la jeune femme, je ne vois rien du tout !

Joran se tourna vivement vers son amie, l’air surpris.

  • Comment ça rien ?

  • Eh bien non, cette porte me semble tout à fait banale… sans doute une réserve quelconque et sans intérêt.

L’enfant se retourna vers la porte, de plus en plus intrigué. Pour lui, celle-ci était entourée de runes et gravée d’un étrange symbole en son centre qui pulsait une lumière bleutée. Le rythme de la pulsation semblait aller de pair avec les battements de son cœur, l’appelant de plus en plus fort. Mariwenn quant à elle ne semblait voir qu’une banale porte de bois sombre. Mut par son instinct, Joran s’avança en tendant la main, jusqu’à la toucher. La pulsation enfla alors d’un seul coup, la lumière enveloppant Joran de plus en plus fort à chaque coup, jusqu’à l’illuminer de l’intérieur. La porte s’ouvrit alors, le laissant entrer avant de se refermer derrière lui.

Mariwenn de son côté vit Joran pousser la porte après une seconde d’hésitation et entrer dans la pièce. Elle le suivit donc, pénétrant dans une salle de taille moyenne où s’entassaient des caisses et des barriques de toutes les tailles : la réserve personnelle du Grand Oligarque. Alors que la porte se refermait derrière elle, Joran sembla se dissiper en fumée devant ses yeux horrifiés. Paniquée, elle sorti de la réserve et remonta les escaliers quatre à quatre et couru à perdre haleine vers la salle de réception où se déroulait la cérémonie. Arrivée devant la double-porte qui en barrait l’entrée, elle reprit son souffle et se donna une contenance avant d’entrer. La salle était énorme, et noire de monde. Le plafond situé quatre étages plus haut était soutenu par six colonnes ouvragées supportant des mezzanines sur deux niveaux. Le centre de la pièce était occupé par une estrade de marbre habituellement utilisée par les musiciens animant les réceptions de l’Oligarque. Aujourd’hui cependant, c’était l’Oligarque lui-même qui l’occupait, et il s’était lancé dans un discourt grandiloquent sur la gloire de Fervorn et son exceptionnelle maîtrise de la Magie. La cérémonie proprement dite n’avait pas encore commencée. Mariwenn se posta de manière à être vue d’Araméor et le fixa intensément. Lorsque celui-ci l’aperçut, il abrégea son discourt afin de céder la place au maître de cérémonie et la rejoignit aussi discrètement qu’il le put. Mariwenn était terrorisée. Comment allait-elle annoncer la disparition de Joran à son père ? Elle allait subir sa colère et souffrir mille maux avant d’être renvoyée !

  • Maître, souffla-t-elle, Joran a…

  • Joran a quoi ? répondit Araméor aussi doucement que possible, et sans montrer l’inquiétude qui le rongeait déjà.

  • Il a… disparut… hésita la jeune femme.

Araméor sembla rater une inspiration.

  • Disparut ? Où ? Comment ?

  • Eh bien, commença Mariwenn, il a voulu explorer le palais, et il me parlait d’une porte étrange à la cave depuis plusieurs jours. Alors il a voulu voir ce qu’elle cachait et je l’ai accompagné pour le surveiller et…

  • Une porte étrange ? A la cave ? Montrez-moi, l’interrompit l’Archimage.

  • Mais maître ? Maintenant ? En plein milieu de la cérémonie ?

  • Nos trois amis ont épié notre conversation, et ils travaillent déjà à créer l’illusion de ma présence, regardez…

Mariwenn regarda alors, et sa surprise fut de taille ! Araméor semblait être assit sur l’estrade et s’intéresser à la cérémonie qui débutait, alors qu’il était juste à côté d’elle une seconde auparavant…

  • Mais… fit-elle.

  • Eh bien, vous venez ? Lui souffla l’Oligarque depuis la porte de la salle.

Mariwenn encore toute secouée par la performance des trois jeunes Morphéens suivit son maître et le guida jusqu’à la réserve où avait disparut l’enfant. Arrivé devant la porte, Araméor y apposa sa main et souffla quelques Mots de Pouvoir, invoquant la Lumière Révélatrice : Eleonyl Revleïs al Tohon !

Rien. La porte demeura aussi nue et sans intérêt qu’auparavant. L’Oligarque regarda vers la jeune femme, l’air soupçonneux.

  • Vous vous êtes moqué de moi jeune fille, cette porte n’a rien d’étrange !

  • Je vous assure maître, Joran a disparut dès qu’il l’a franchie !

  • Je veux bien vous croire, mais il est plus vraisemblable que cet enfant vous ait joué un tour…

  • Il n’a que sept ans maître, et il ne connaît presque rien à la magie !

  • Vous avez raison Mariwenn, il est possible que quelque chose d’étrange se soit passé, cependant, j’en doute fort… Ce palais est protégé par des sorts extrêmement puissants et anciens…

Araméor se tourna alors vers la porte et la poussa d’une main volontaire. Derrière celle-ci, il trouva la réserve inchangée.

Chroniques des Enfant-Rois - Chapitre 4 - part 2

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