Leur stupeur passée, étudiants et professeurs se relevèrent tant bien que mal en se débarrassant de la poussière qui les recouvrait. Araméor lui, promenait un regard sombre sur l’assemblée à ses pieds. Ses yeux s’arrêtaient de temps à autre sur quelqu’un, semblant le sonder, puis il continuait son manège. Derrière lui, caché dans l’ombre, l’un des trois étudiants qui s’étaient éclipsés juste avant l’allocution de l’Oligarque paraissait être de pierre tant il était immobile et concentré. Au bout de quelques minutes, le calme revenu dans la cour, Araméor s’adressa de nouveau à la foule. « Aujourd’hui, vous avez vu ce que la haine et l’envie peuvent provoquer ! Depuis des siècles, nous nous sommes battus contre nos frères de ces autres humanités de Morphéa et Artificus ! Depuis des siècles nous souffrons de ces guerres incessantes et inutiles ! Aujourd’hui, c’est un être issu mon propre sang qui menace le fragile équilibre que nous tentons de maintenir ! Sachez tous que désormais, je ne le permettrai plus ! » Puis, fixant tour à tour la jeune Alyanea et le vieux forgeron, il les invita à le rejoindre dans ses appartements. Bouleversés par ce récent événement qui venait tout juste de se produire, ils entrèrent en silence dans le palais, discrètement escortés par un autre étudiant encapuchonné. Intriguée, Alyanea lui demanda : « Helios ? Qu’est-ce que tu fais ici ? Le Maître ne t’a pourtant pas appelé il me semble ? » Le jeune homme se contenta de lui faire signe de la tête pour lui demander de le suivre, ce qu’elle fît non sans se poser quelques questions… Arrivé devant la porte des appartements privés d’Araméor, ils trouvèrent le troisième membre de cette curieuse confrérie qui les attendait. Celui-ci leur ouvrit la porte et les pria de le suivre sans faire de bruit. « Armynos aussi ? » se demanda Alyanea en entrant. A l’intérieur, ils trouvèrent Aramréor en compagnie de Kelys, l’étudiant qui l’avait accompagné sur le balcon. Assis sur une chaise proche de la fenêtre, Joran essayait de se faire discret, intimidé par l’attention dont il était l’objet. A côté de lui, debout, une main sur son épaule, la jeune servante Mariwenn tentait de le réconforter gentiment. En reconnaissant Kelys, Alyanea commençait à se demander qui étaient ces trois jeunes hommes qu’elle croyait connaître. Ils n’avaient rejoint l’académie de magie que depuis un an à peine et ne semblaient pas avoir progressé. Leur maîtrise de l’air était limitée à leur environnement immédiat, et ils ne s’étaient jamais intéressés à autre chose. Ils étaient aussi très discrets, parlant peu même entre eux, et ne s’étaient jamais intégrés à d’autres groupes. Melchior pour sa part paraissait à l’aise en cet endroit, mais ça n’avait rien de surprenant, tout le monde savait qu’il était un ami proche de l’Oligarque. C’était la première fois que la jeune femme entrait dans ce lieu hautement privé, aussi observa-t-elle attentivement son environnement. Elle était dans un salon semblait-il. Un salon visiblement destiné à accueillir des invités. Meublée avec goût, la pièce ovale n’en n'était pas pour autant intimidante et n’affichait pas de richesses ostentatoires. Une haute cheminée de marbre sculpté faisait face à l’unique fenêtre de la pièce. Devant la cheminée, deux banquettes de velours bleu en arc de cercle ainsi que deux fauteuils étaient disposés en ovale autour d’une table basse en bois clair. De l’autre côté de la pièce, une autre porte fermée devait donner sur les appartements proprement dit. Les murs lambrissés étaient habillés de hautes bibliothèques regorgeant de livres parlant de sujets tels que l’histoire d’Arcana et sa géographie, des recueils de poèmes Morphéens et bien d’autres choses encore. Loin d’être imposante, cette pièce confortable invitait à la détente.

Araméor invita les nouveaux arrivants à s’installer tandis qu’Armynos refermait la porte derrière eux. « Bien, commença-t-il, il est temps de vous donner quelques explications je crois. Tu as raison Alyanea, ces trois jeunes gens ont quelque chose de bizarre en effet. En réalité, Kelys, Armynos et Helios ne sont pas Arcaneans. Ils sont Morphéens et travaillent à mon service. Ils m’ont été recommandés tout spécialement par Melena en personne. Kelys est un télépathe extrêmement doué, capable de sonder les pensées et les intentions des gens autour de lui sans qu’ils s’en aperçoivent. Helios est un empathe, c'est-à-dire qu’il ressent les émotions et, d'une certaine façon, il peut aussi les modifier subtilement. Quant à Armynos, c'est un illusionniste, il est capable de vous faire croire qu'il n'est pas là... et depuis un an, il a souvent eu l'occasion de parfaire son art ! Ils sont aussi tous les trois d'excellents télékinésistes, ce qui signifie qu'il s peuvent déplacer des objets à distance et même concentrer l'air autour d'eux. Cette capacité les a aidés à parfaire l'illusion qu'ils étaient des mages, bien qu'ils ne sachent pas manipuler les forces élémentaires ».

Tandis qu'il parlait, simultanément, les trois Morphéens démontraient leur talent devant Alyanea de plus en plus abasourdie. Ils jouaient de leur pouvoir ensemble comme une harmonie, disparaissant sous ses yeux puis réapparaissant progressivement. Elle eut même la sensation de partir elle-même en fumée et dut se tâter le corps pour constater qu'elle rêvait. Elle n’avait jamais eu une haute opinion des Morphéens, mais son avis venait de changer du tout au tout. Elle comprenait à présent pourquoi Morphéa était appelée le Monde-Rêve. Ce qu'elle ne comprenait pas en revanche, c'est ce qu'elle faisait ici. L'Oligarque lui dit alors :

  • Maintenant que mon sot de neveu est parti, tu restes l'étudiante la plus influente de ta promotion. J'aimerais que tu t'assure de réunifier cette classe le plus rapidement possible. J'ai besoin de tes talents de leader pour faire accepter mon fils dans toutes les sphères de l'Université. Il n'est pas entièrement d'ici, et je crains des tensions de la part de certains nobliaux arrogants, particulièrement parmi les anciens partisans d'Argann.

  • Je le ferai seigneur, dit-elle en s'inclinant, Je comprends mon devoir, mais aussi, je crois que j’apprécie ce petit, et aussi je pense comprendre votre plan.

  • Je suis sûr que tu comprends mon plan, tu es assez intelligente pour ça. Dans quelques années, tu seras peut-être appelée à partir vers les autres mondes afin de réunir cette équipe hors du commun.

Impressionnée par la confiance que le chef de l'Assemblée mettait en elle, la jeune fille se contenta de s'incliner encore plus.

Araméor se tourna ensuite vers Melchior, le forgeron. Celui-ci était resté de marbre pendant cette explication. En effet, il connaissait déjà le secret de ces étudiants mystérieux, ayant lui même participé à leur intégration.

  • Mon ami, continua l'Oligarque, je te confie une nouvelle fois une mission importante. Tu es un grand voyageur, tu connais beaucoup de monde un peu partout. Tu seras je pense un excellent professeur pour mon fils. Et puis sait-on jamais, peut-être qu'un jour tu pourras lui transmettre le savoir que tu as acquis. Tu n'as pas eu le bonheur d'avoir un fils à qui léguer ces connaissances, alors je souhaite que tu trouves dans cette mission l'occasion de palier à ce manque qui te ronge.

  • Ce sera avec une immense joie seigneur, je suis honoré par la confiance que vous m'accordez, répondit Melchior en se courbant avec respect.

Araméor se tourna ensuite vers la jeune Mariwenn qui tenait à présent la main de l'enfant. Celui-ci s'était visiblement pris d'affection pour elle, et elle le lui rendait bien.

  • Mariwenn, tu quittes désormais le service des cuisines. Ton unique tâche sera maintenant de t'occuper de Joran. J'ai enlevé cet enfant à sa mère, il aura besoin d'une amie comme toi.

  • Je... Avec plaisir seigneur, dit la jeune femme, à la fois intimidée et soulagée. Je remplirais cette mission avec bonheur, soyez-en assuré, finit-elle, plongeant dans une humble révérence.

  • Je n'ai aucun doute à ce sujet, murmura Araméor dans un sourire.

Pendant ce temps, Joran serrait la main de la jeune femme jusqu'à s'en blanchir les phalanges. Intimidé par cette assemblée, il ne savait comment réagir, alors il se leva de sa chaise et s'inclina comme les autres vers son père. Araméor éclata d'un rire amusé en le voyant.

Chapitre 2 - Le Temple de l'Esprit - Part 1

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