La ruelle était sombre et silencieuse. Le lampadaire le plus proche du vieux porche s’était éteint quelques instants auparavant, plongeant la rue dans le noir. Seule la lumière rougeoyante de Dante éclairait maintenant ce quartier de la ville. Une ombre furtive s’éloigna vers l’angle de la vieille bâtisse en rasant le mur puis tourna dans une rue adjacente avant de se faufiler discrètement dans un recoin. Une vieille femme se trouvait là qui l’attendait. Sa cliente.

  • Tenez, voilà pour vous. Oubliez que vous m’avez vue, chuchota-t-elle en lui donnant une petite bourse de cuir.

  • Je ne sais même pas qui vous êtes et de toutes façons je m’en fiche pas mal, répondit le jeune cambrioleur. Ils sont bien là, dans le petit salon du rez-de-chaussée.

  • Bien, partez maintenant. Adieu.

Le cambrioleur parti, la vieille dame se dirigea vers le porche, traînant derrière elle un petit chariot contenant un sac en toile de jute. Lorsqu’elle atteignit la porte, elle sortit une vieille clé d’un repli de sa robe et l’introduisit dans la serrure, la déverrouilla puis poussa la porte le plus lentement possible. Elle ne put empêcher les vieux gonds rouillés de grincer mais au moins le bruit fut un peu atténué. Elle pénétra dans la cour aux pavés disjoints, referma toujours aussi doucement la porte et se dirigea vers la maison. L’entrée principale du vieil hôtel particulier de Donann avait été extrêmement fastueuse. Elle n’était désormais plus qu’une ruine envahie par les mousses et les mauvaises herbes, noire de suie et de simples planches bouchaient les carreaux brisés. L’entrée de service en revanche, semblait avoir servi récemment et elle était de surcroît beaucoup plus discrète. Elle donnait sur un petit vestibule desservant un cellier et les cuisines. Une porte dérobée donnait sur un escalier descendant à la cave. La vieille femme laissa son chariot dans la cuisine, sous une table en bois massif puis se dirigea doucement, sans faire de bruit ni allumer de chandelle, vers le petit salon où dormaient Donann et son fils. Au moment où elle arrivait devant la porte, celle-ci s’ouvrit brusquement. Elle eut un sursaut en voyant l’ingénieur armé d’un pied de chaise, surgir devant elle en la menaçant. En la reconnaissant, Donann baissa son arme improvisée.

  • Ouf, te voilà enfin chuchota-t-il, j’ai eu peur que tu ne puisses te libérer, il est plus de minuit…

  • Oui eh bien je suis là maintenant, arrête de paniquer ! L’enfant dort ?

  • Oui, il s’est même endormi très facilement en fait. J’ai feuilleté son carnet en t’attendant, il a des idées intéressantes, c’est très prometteur… Il lui faut seulement une solide éducation technique pour révéler son potentiel or ça ne va pas être facile là où nous allons…

  • C’est ça ou ils le renvoient chez sa mère ! Ils ont déjà trouvé un mage qui accepte d’aller à l’encontre d’Araméor. Il arrive demain matin !

  • Demain matin ? C’est trop court, on ne peut pas attendre, nous devons partir immédiatement…

Eryn émergea du sommeil lentement en entendant les adultes parler à la porte du salon. Même s’ils chuchotaient, la panique de Donann s’entendait et l’enfant la ressentit.

  • Qu’est-ce qu’il y a papa ? Demanda-t-il.

  • Nous devons partir Eryn, tout de suite !

  • Avec qui tu parles ?

Il entrevit à ce moment là la silhouette derrière son père et eut un mouvement de recul.

  • Ne t’inquiète pas fiston, c’est une amie et elle a très bien joué son rôle de vieille gouvernante acariâtre lui dit son père avec un sourire rassurant.

  • D’ac… d’accord répondit l’enfant.

Ils commencèrent alors à préparer leurs affaires, rassemblant les quelques possessions qu’ils avaient amenées après quoi ils se rendirent aux cuisines où la vieille gouvernante sortit le chariot de sa cachette. « J’ai préparé quelques provisions et de l’eau pour notre voyage. La route est longue jusqu’au Portail de Nimpertur… » Dit-elle en guise d’explications puis, se saisissant du sac alourdi de son chargement et le calant solidement surs on épaule, elle se dirigea vers la porte de la cave. Elle l’ouvrit et commença à descendre. Eryn était un peu surpris de voir cette vieille femme faire preuve d'une telle force. Elle n'était peut-être pas aussi âgée qu'elle le paraissait finalement... Voyant son étonnement, son père, le rassura :

  • Ne t'inquiète pas Eryn ! En fait Eyrina n'a que vingt-cinq ans et elle est passée maître dans l'art du déguisement !

  • Vingt-cinq ans ? Fit Eryn abasourdi.

  • Eh oui fiston, cette jeune fille qui se trouve être ta cousine est un maître espion ! Elle travaille depuis déjà deux ans comme agent infiltré et elle n'a jamais été découverte...

  • Deux ans déguisée en vieille femme, ça doit être dur, répondit Eryn dubitatif.

  • On s'y habitue à la longue, les interrompit Eyrina ! Mais ce n'est pas le moment de raconter cette histoire, venez, nous allons prendre le passage secret de la cave ! Il débouche dans l'avenue des marchands où une voiture nous attend...

Ils suivirent donc la jeune femme dans le petit escalier et arrivèrent dans une pièce au plafond bas et voûté. Au fond, une vieille chaudière à moitié effondrée achevait de rouiller. Eyrina s'en approcha et entreprit d'ouvrir la trappe d'alimentation à-demi soudée par la rouille. Donann s'empressa de l'aider et bientôt, celle-ci s'ouvrit en grinçant.

- J'espère que ce bruit d'enfer n'aura pas réveillé tout le quartier souffla-t-il.

La trappe était assez grande pour laisser passer un homme pas trop corpulent. De l'autre côté de la cuve, une autre trappe, camouflée celle là, s'ouvrit sous la poussée de Donann, découvrant un tunnel creusé dans le sous-sol de la ville. Le souterrain était humide et froid. L’enfant frissonna en suivant son père et eut peine à retenir un hoquet de dégoût en respirant l’odeur de moisi qui y régnait. Eyrina fouilla dans son sac d’où elle sortit un appareil étrange, une sorte de sphère de cuivre dont la partie centrale était composée de miroirs et de lentilles disposés en cercle autour d’un tube de verre. Elle fit faire un quart de tour à la partie supérieure de l’objet qui s’alluma aussitôt d’une belle lumière blanche éclairant toute la cave. La jeune femme les suivit à son tour en refermant les deux trappes derrière elle. Le tunnel n’était pas maçonné, seulement taillé directement dans la pierre. L’humidité suintait des murs et du sol inégal, rendant celui-ci glissant. Ils progressèrent à pas mesurés et prudents, prenant bien garde de ne pas tomber. Bientôt, ils arrivèrent devant un mur de briques qui semblait fermer le passage. Donann s’approcha de la paroi et en délogea une à l’aide d’un couteau qu’il portait à la ceinture. Derrière se trouvait un tube de fer pourvu d’un manche et se terminant comme une clé complexe en forme d’étoile. Il le prit et l’introduisit dans un emplacement dissimulé derrière une deuxième brique en bas du mur. Un quart de tour vers la droite, un cran plus bas, un demi-tour vers la gauche… On entendit un clic léger puis il abaissa le manche. Celui-ci s’actionna difficilement, tant la rouille et le manque d’entretien avait endommagé le système. Enfin, le mur se dégagea partiellement. Le passage était juste assez large pour laisser passer Eryn. Donann et Eyrina s’arc-boutèrent sur celui-ci et poussèrent de toutes leurs forces. Le rail se dégagea d’un seul coup et la porte coulissa jusqu’à sa butée avec fracas. Le bruit résonna longtemps dans le tunnel de l’égout où ils avaient débouché. Une horde de rats que le vacarme avait dérangés s’enfuit dans toutes les directions, effrayant l’enfant. Eyrina confia son sac à Donann et pris le garçon par la main.

  • Viens lui dit-elle, il ne faut pas avoir peur, je te protégerai. Donann, vaut mieux pas traîner dans le coin, ce bruit a sûrement dû alerter une patrouille de la milice… Non pas qu’ils me fassent peur, mais je préfère éviter d’avoir à me battre…

  • Tu as raison. Viens, c’est par là, répondit-il en indiquant un côté du tunnel.

Quelques instants plus tard, filant en silence autant qu’il était possible, ils entendirent des voix derrière eux. Une patrouille était en train de descendre dans l’égout. Eyrina éteignit aussitôt son étrange lanterne et ils s’immobilisèrent dans l’entrée d’une bouche d’évacuation. Une lumière éclaira bientôt la galerie principale : la patrouille arrivait par la droite depuis un tunnel annexe. Leurs voix devinrent plus claires.

  • Trouvez-moi ce qui a causé ce bruit, et vite ! Si on peut ramener quelques voyous ce soir on aura droit à une belle prime !

  • He he, lança une seconde voix, avec ça je me taperais bien la petite nouvelle à l’auberge de Gladys, il parait qu’elle est meilleure que sa patronne !

  • Meilleure que Gladys ? Je demande à voir ! Renchérit un troisième.

  • Vos gueules vous deux ! Les reprit celui qui semblait être le chef, vous dépenserez vos primes quand vous les aurez gagnées !

Eyrina risqua un coup d’œil vers les trois hommes pour surveiller leur approche. L’un d’eux venait vers eux tandis que les autres partaient de l’autre côté. Elle attendit qu’ils se soient suffisamment éloignés puis elle sortit de sous sa robe une sorte de mini arbalète. Elle l’arma y plaçant deux petites fléchettes. Le chef de la patrouille et son compère s’étaient assez éloignés maintenant. Elle attendit encore une minute que le troisième larron s’approche encore un peu puis tira. La première fléchette se ficha dans le cou de l’homme. Surpris, celui-ci eut un léger moment de panique puis il s’effondra endormi dans une flaque. La jeune femme se précipita vers lui, récupéra sa lanterne et le tira dans leur cachette. Puis elle rechargea son arbalète et repartit à la poursuite des deux autres. Donann s’empressa de le fouiller, récupérant ce qui pouvait leur être utile. Le badge de milicien atterri sur sa veste, et le couteau rejoignit le premier à sa ceinture. Un revolver à barillet de huit coups d’assez bonne facture était sanglé dans un holster sur la poitrine du milicien. Il s’empara de l’ensemble. L’homme portait aussi une bourse contenant quelques liards, ainsi qu’une bille d’obsidienne : la Pierre de Dante… « ça c’est mauvais » pensa Donann. Eyrina quant à elle suivait toujours les deux autres miliciens, s’assurant qu’ils n’avaient pas entendu la chute de leur camarade. C’est alors que l’un d’eux découvrit le passage secret.*

* * *

Donann suivait discrètement Eyrina. Il espérait qu’Eryn ne bouge pas de la cachette. Aucun risque ne pouvait venir du milicien endormi pour plusieurs heures. Il entendit l’exclamation de l’autre équipier de la patrouille lorsque celui-ci découvrit le passage. Eyrina n’attendit pas de les voir rappliquer. Elle visa et tira une fléchette directement sur le chef puis, dans un même mouvement, fit pivoter son arbalète d’un demi-tour et abattit l’autre. Les deux hommes s’effondrèrent en quelques secondes sans avoir pu émettre un cri. Donann arriva sur ces entrefaites et chacun fouilla l’un des hommes à terre. Le chef de patrouille, outre son badge de milicien possédait une épée modifiée dont la garde abritait un pistolet à chargeur douze coups. Une arme aussi dangereuse pour son utilisateur que pour ses potentielles victimes quand elle était bricolée. Celle-ci en revanche semblait avoir été fabriquée par un maître… Donann se demandait comment un simple milicien pouvait se payer un tel luxe, les primes d’arrestations couvraient généralement tout juste les soirées de beuverie et les filles de joie … Il poursuivit son investigation et trouva la bourse de l’homme. Il était riche pour un milicien : deux couronnes d’or… et quelques liards. Point de bille d’obsidienne ici cependant. Rassurant.

  • He Donann ! le héla doucement Eyrina

  • Qu’est-ce qu’il y a ?

  • Regarde ce que je viens de trouver dans la doublure de sa veste, dit-elle en lui apportant un petit objet.

  • Une Pierre de Dante ! S’exclama-t-il. Attend, je vérifie sur lui, fit-il, joignant le geste à la parole.

Il ne fouilla pas longtemps. Bientôt il brandit triomphalement une troisième petite bille noire.

  • Ces types sont aussi miliciens que moi ! Ce sont des traîtres qui devraient être jugés ! Fit Donann.

  • On n’a pas le temps, malheureusement. Allez viens, on file. Récupère les munitions de leurs armes ça peut servir.

Ils rejoignirent Eryn, toujours caché là où ils l’avaient laissé. L’enfant les attendait anxieusement. Son père le prit dans ses bras pour le rassurer, se saisit du sac d’Eyrina et ils continuèrent vers la sortie. Bientôt, ils arrivèrent devant une série de barreaux enchâssés dans le mur qui permettait d’atteindre la rue des marchands. Eyrina monta la première et souleva doucement la plaque de fonte. Elle observa la rue autours d’elle. Rien. Elle poussa complètement la plaque en faisant le moins de bruit possible, faisant signe à Donann de faire passer l’enfant. Lorsqu’ils furent tous trois dehors, ils rebouchèrent la sortie en silence et se glissèrent vers un porche proche. Comme l’avait annoncé la jeune femme, une voiture les attendait. C’était une voiture à cheval. Une simple caisse en fait, montée sur des ressorts en arc de cercle et pourvue d’un banc de bois pour le conducteur. Les roues en revanche étaient cerclées de caoutchouc. Deux chevaux noirs étaient attelés au véhicule et un homme debout à côté d’eux leur tenait les rennes.

  • Salut Earl, merci pour ton aide, lança Eyrina à l’inconnu.

  • De rien ma belle, tu sais bien que je n’ai jamais su résister à tes charmes, répondit-il dans un sourire.

  • Oui, et encore moins à mon or n’est-ce pas ? Lui glissa-t-elle à l’oreille en lui donnant deux couronnes.

  • Ah ! Tu me vexes là ! C’est le prix des chevaux, et je t’offre la voiture !

  • Je plaisante mon ami, prend soin de ta femme et de ta fille.

Puis, lui déposant un baiser sur la joue, elle fit signe à Donann et Eryn de monter à bord.

- En route pour Morphéa mes amis ! Lança la jeune fille.

Le petit matin se levait déjà. La voiture s’ébranla, et ils purent enfin sortir de la ville sans plus être inquiétés.

Chapitre 4 : Arcanem es Alegorem

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